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Un regard (décalé ?) sur Intelligence Artificielle et Défense/Sécurité

L’intelligence artificielle véhicule un nombre important de mythes et de fantasmes, en particulier en matière…
Publié le 29 septembre 2016
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L’intelligence artificielle véhicule un nombre important de mythes et de fantasmes, en particulier en matière de défense : « l’intelligence artificielle surpassera l’homme » ; « les robots tueurs sont pour demain »…
L’IA est anthropo-morphisée (si,si) à outrance. Le militaire fait peur. La robotique fait peur. L’intelligence artificielle fait peur. Alors les robots tueurs, pardon les SALA (le monde de la défense adore les acronymes, en l’occurrence les systèmes d’armes létaux autonomes) polluent la réflexion et empêchent de concevoir l’IA comme un domaine scientifique et d’ingénierie.
On est très très loin de la supraconscience artificielle que de nombreux auteurs (et notamment le courant transhumaniste mené par le célèbre Ray Kurzweil) agitent comme un chiffon rouge. L’IA est certes un domaine en explosion, mais ce n’est pas la révolution de l’humanité qu’on veut nous faire accroire.

Restons raisonnables et rationalisons les raisons pour lesquelles l’IA revient à la mode.
Remarquons d’abord que certains concepts réapparaissent et sont présentés comme neufs alors qu’ils ne font que renaître sous une nouvelle appellation, tel le deep learning qui « ré-invente » les réseaux de neurones des années 50.
L’IA revient à la mode grâce à la convergence de la disponibilité de puissances de calcul très importantes, d’une quantité de données considérable (en constante et rapide augmentation) et d’algorithmes agrégés. Songeons que 2 milliards de téraoctets de données sont créés chaque jour alors que l’ensemble des ouvrages de la BNF ne représentent « que » 10 milliards de téraoctets ! Ces big data (caractérisées par les 4 V de volume, véracité, vitesse, variété) posent des questions de société mais nécessitent d’avoir une éducation minimale pour les comprendre et les utiliser.

Dans le monde civil, l’IA commerciale se développe actuellement via les objets connectés pour lesquels il est nécessaire de permettre une adaptation à l’utilisateur, une facilitation des interactions, une gestion automatique de l’interactivité. Dans ce domaine, la France possède une certaine avance en particulier grâce à son niveau en mathématiques, algorithmique et ingénierie. Remarquons aussi que, délaissant les activités liées au numérique (traitement des signaux), les GAFA achètent maintenant de l’« IA ». Leur financement est tiré entre autres par les véhicules autonomes et la robotique (vision par ordinateur)), l’interaction avec utilisateur (analyse sémantique/assistant personnel/speech to speech, …) et l’analyse de données au sens large, y compris big data.

Les vrais enjeux de l’IA dans le monde de la défense et de la sécurité sont principalement liés à la robotique de soutien, à la simulation pour l’appui aux opérations, aux capteurs « intelligents » et à l’analyse de signaux, et pas, en priorité, aux systèmes d’armes.
La robotique de soutien concerne en particulier le portage (souvent de charges de plus de 60 kg sur le terrain), l’ouverture d’itinéraire (en terrain hostile voire miné), la surveillance… Autant de tâches nécessitant des capacités d’analyse de l’environnement, d’autonomie, de vision, et pour lesquelles les techniques d’IA rendues « embarquables » sont utiles.

L’IA permet également de modéliser le comportement d’entités humaines sur le terrain. Il est ainsi possible de réaliser des simulations des entités adverses, de jouer le déroulement d’une opération, d’en inférer un ou des modes d’action et de détecter les écarts par rapport aux prévisions. Tout cela à l’aide des données simulées ou enregistrées issues de différents capteurs installés sur différents systèmes (terrestres, avions, drones … voire satellites). C’est notamment le domaine de la simulation constructive.

Donner de l’autonomie et de l’intelligence à des capteurs sur le terrain, c’est à dire réaliser le traitement, l’analyse et la classification dans le capteur lui-même, permet de transmettre à l’opérateur ou au décideur des informations qualifiées et pertinentes et ainsi de ne saturer ni les réseaux de transmission ni les exploitants.
Pour prendre un exemple, il existe aujourd’hui des capteurs intelligents, telle une caméra thermique miniaturisée, de faible consommation, et embarquant une intelligence artificielle qui permet le traitement automatisé et en temps réel des images. Il devient ainsi possible de réaliser de la détection et du suivi d’images, de la détection de geste ou de mouvement, ou d’extraire des caractéristiques de haut niveau permettant d’implémenter une identification automatique de cible d’intérêt et un traitement de l’image correspondante. L’essentiel des opérations peut ainsi être réalisé au sein du capteur lui-même : toutes les opérations sont effectuées localement, sans devoir surcharger la bande passante du réseau, ni devoir transmettre des informations en vue d’en faire l’analyse sur un serveur distant. En découlent une économie de temps, un gain de sécurité et d’efficacité. On peut ainsi imaginer qu’un drone aérien soit capable de réaliser l’interprétation automatique et immédiate des images qu’il capte, sans devoir faire appel à une liaison vers un segment sol.

Enfin (même si cette liste est loin d’être exhaustive), l’IA peut être employée à des fins de renseignement : analyse « intelligente », notamment des signaux faibles grâce à des techniques de « big data » (pensons à la monstrueuse quantité de données disponibles sur les réseaux sociaux comme en termes de transmission électronique de l’information).
L’IA n’est pas la « superpuissance en devenir » régulièrement annoncée dans les media. Outre les problématiques éthiques et légales, elle doit encore se confronter à des défis techniques pour atteindre sa pleine maturité : apprentissage non supervisé et embarquabilité de la technologie pour n’en citer que deux. Dans le domaine de la défense, nul doute qu’elle sera à l’origine d’améliorations capacitaires dans tous les domaines. Loin de l’image du Terminator et des clichés transhumanistes, l’IA s’avère être un outil, un « couteau suisse » au service de l’opérationnel. Comme tout outil, il convient d’apprendre à s’en servir…

Consulter le blog VMF214 dédié à l’innovation technologique de défense : https://blogvmf214.wordpress.com.


Michel Bouvet

Directeur général d’Yncréa

Emmanuel Chiva
Directeur général adjoint d’Agueris

Conseiller des études à l’IHEDN

A propos de Michel Bouvet

Polytechnicien et docteur d’Etat es sciences physiques, Michel Bouvet a occupé divers postes à responsabilité au sein du ministère de la défense. Il a été en particulier chef du Centre Militaire d’Océanographie du SHOM, sous-directeur à la Délégation aux Affaires Stratégiques (DAS), directeur du programme VBCI (DGA) et responsables de formations au CHEAr. Il a ensuite occupé des postes de direction ou de direction générale dans le monde de la recherche publique, direction de la stratégie du développement et des relations extérieures de l’IRSN, chef du service de la tutelle des organismes de recherche au sein de la DGRI, siégeant dans certains conseils d’administrations (IRD, MNHN, CNES, …), directeur général délégué de l’IRD, chargé de l’AIRD.
Michel Bouvet a fondé le cabinet ESR Conseil, accompagnant les acteurs publics et privés de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il est directeur général d’Yncréa, premier pôle privé d’enseignement supérieur associatif d’écoles d’ingénieurs, regroupant les marques HEI, ISA, ISEN.
Michel Bouvet est Ingénieur général de l’armement (CR), officier de l’ordre national du Mérite, chevalier de la Légion d’Honneur et chevalier du Mérite agricole.

A propos d’Emmanuel Chiva

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (1989-1996), Emmanuel Chiva est Docteur en Biomathématiques. Auditeur de la 49e session Nationale « Armement & Economie de Défense » et conseiller des études de l’IHEDN, il est également officier de réserve de la Marine nationale.
Emmanuel Chiva a débuté sa carrière en 1997 chez MASA (Mathématiques Appliquées SA) Technologies logicielles de simulation – systèmes adaptatifs, intelligence artificielle, et modélisation du comportement humain pour la Défense et la Sécurité Globale où il a exercé les fonctions de directeur général adjoint puis de Vice-Président exécutif tout en fondant et développant la business unit Simulation militaire MASA-SCI.
En 2007, il est cofondateur et associé de la société SILKAN spécialisée dans le calcul haute performance, les technologies embarquées et la simulation. Il est aujourd’hui directeur général adjoint en charge de la stratégie et du développement de la société AGUERIS, filiale de CMI Defence, spécialisée dans la simulation et l’entraînement pour les systèmes d’armes. Il est également depuis 2014 président de la commission R&T du GICAT (groupement des industriels de l’Armement Terrestre). Il a créé et anime le blog VMF214 sur l’innovation technologique de défense.

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