Depuis l’invention de l’agriculture sédentarisée il y a 10 000 ans environs, l’humanité a créé deux milliards d’hectares de désert dont un au cours du vingtième siècle. À l’heure actuelle l’humanité et ses 6,8 milliards d’êtres humains, dispose encore d’environ 1,5 milliard d’hectares de sol cultivé pour se nourrir, ce qui correspond à 2 400 m² par habitant. Or, nous autres occidentaux consommons en moyenne 6 000 m2 de terre cultivée par habitant. Le calcul est rapide pour constater qu’il doit y avoir sur terre des gens qui ont faim. Effectivement ils sont 1 milliard d’après la FAO, et leur nombre augmente. Pendant ce temps l’agriculture intensive détruit 15 millions d’hectares chaque année (érosion, désertification, salinisation) auxquels s’ajoute une perte de 5 millions d’hectares due à l’urbanisation. Pour compenser, on détruit 10 millions d’hectares de forêts tropicales. De ce fait la surface agricole n’augmente plus, alors que la population mondiale augmente de 75 millions d’habitants/an. Donc, chaque année la surface agricole/habitant diminue. Il va donc falloir apprendre à cultiver la terre sans l’éroder. Pour cela il faut appliquer et respecter les lois de la biologie du sol en agriculture.
Avant de parler d’agronomie et du constat alarmant présenté en introduction, il est important de définir ce qu’est un sol et quelles sont les grandes bases de son fonctionnement. Il est constitué de matières organiques (décomposition des organismes, humus) et de matières minérales (les argiles, les roches). On parle de milieu organominéral, c’est une matière vivante complexe – le sol héberge 80 % de la biomasse vivante du globe – plus complexe encore que l’eau ou l’atmosphère, qui sont des milieux relativement simples. Le sol est un milieu minoritaire sur notre planète (il n’a que 30 centimètres d’épaisseur en moyenne) et d’une grande fragilité. Enfin, le sol est un milieu qui n’existe que sur la planète Terre ; c’est un système écologique dynamique qui évolue dans le temps et l’espace et connaît une naissance, une maturité et une mort. Le sol naît de l’attache des argiles avec l’humus pour former le complexe argilo-humique. Ce complexe ne peut se former qu’en présence de vie car c’est la vie qui fabrique l’humus et les argiles. Les champignons du sol aidés de la macrofaune du sol vont dégrader la matière organique (lignine, cellulose, etc.) et la complexifier pour former de l’humus. De leur côté, les racines des plantes secrètent des acides organiques qui vont attaquer, dégrader les roches et ainsi fabriquer les argiles. Pour finir c’est dans l’intestin des vers de terre que l’humus et l’argile seront attachés pour former le complexe argilo-humique. Darwin parlait de « terre animale ». On comprend alors l’importance des plantes et des organismes du sol. La maturité du sol a lieu lorsque la couche organominérale s’épaissit. Ainsi sous l’action des plantes, des microorganismes, du climat (les climats chauds et humides favorisent des maturations de sols ou pédogénèses rapides) et du temps, un sol pourra devenir très profond : 14 mètres dans le Santerre, 30 mètres en forêt Amazonienne. Puis, en général sous l’action de l’homme, un sol peut mourir.
L’application du modèle industriel à l’agriculture et à l’élevage, la mécanisation, l’utilisation des engrais et des pesticides, la « Révolution verte » et maintenant les OGM, en bref le développement de l’agriculture intensive telle qu’on la connaît a engendré une destruction des sols au cours du XXème siècle et du début du XXIème qui aura été sans précédents dans l’histoire de l’humanité. Mais comment ce modèle a-t-il abouti à autant de déserts ?
La mort d’un sol se fait en trois étapes. En premier lieu arrive la mort biologique, elle est la plus commune. Elle commence avec les apports d’engrais et le labour qui favorisent la minéralisation de la matière organique et fait chuter sa teneur dans le sol. Privée de nourriture, la biomasse de la faune du sol s’effondre. Depuis la sortie de la deuxième guerre mondiale, l’utilisation massive des pesticides (herbicides, insecticides, fongicides, etc.) a engendré un effondrement des populations de vers de terres, de la microfaune (collembole, mille-pattes, cloporte, etc.…), des champignons et des microbes. Depuis que le Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols (LAMS) dirigé par Claude et Lydia Bourguignon a commencé ses recherches dans les années 1990, une baisse régulière de l’activité biologique des sols agricoles français a été observée. Pour certains d’entre eux, on ne mesure plus aucun signe de vie microbienne. Les populations de vers de terre quant à elles se sont effondrées en passant de 2 t/ha à moins de 200 kg/ha. La formation du complexe argilo-humique n’est alors plus assurée et l’on rentre dans la deuxième phase de mort d’un sol, sa mort chimique.
La pratique du labour si fermement ancrée dans l’esprit des agriculteurs tient une responsabilité importante face à l’agonie des sols. Le labour favorise aussi la minéralisation de la matière organique qui se dégage sous forme de CO2 dans l’atmosphère. Un labour dégage en moyenne 1t de CO2 /ha/an. Cette perte de la matière organique, en plus d’accélérer la chute de l’activité microbienne, engendre une baisse de la fertilité du sol. Pour compenser, l’agriculteur se retrouve forcé de mettre plus d’engrais pour maintenir ses rendements. En faisant de la sorte, il déséquilibre ses cultures, qui se retrouvent attaquées par les pathogènes, l’agriculteur mets alors plus de pesticides et le cercle vicieux s’installe. Le sol, progressivement, devient incapable de retenir les éléments tels que la potasse, l’azote, le calcium, qui s’en vont et terminent dans les nappes phréatiques ou les rivières. C’est la lixiviation (pertes des ions). A ce stade, le sol va rentrer dans sa phase ultime de dégradation, celle qui est la plus visible, c’est la mort physique.
La très grande majorité des sols agricoles sont arrivés à ce dernier stade de dégradation. Les deux exemples les plus frappants de dégradation physique d’un sol sont l’érosion ou la salinisation. Actuellement, à l’échelle mondiale, l’érosion est responsable de la destruction de 5 millions d’hectares de terre agricoles par an. Ce phénomène s’est amplifié depuis les 30 dernières années. Ainsi en Europe de l’Ouest, c’est plus de 25 millions d’hectares de terres agricoles qui sont affectées par l’érosion hydrique ou éolienne. Le constat est alarmant dans toutes les zones cultivées de la planète où le modèle intensif a été mis en place. L’érosion se produit lorsque le sol ne possède plus d’humus (détruit par le labour) et plus de faune (vers de terre). Les argiles qui sont des colloïdes se retrouvent en suspension dans l’eau. A la moindre pluie, les argiles sont déplacées, le sol s’en va et l’on observe des rivières qui deviennent boueuses. Autre fléau, la salinisation des sols. A elle seule, elle est responsable de la désertification de 6 millions d’hectares de terres agricoles tous les ans. L’agriculture intensive et son usage abusif d’engrais force les plantes à faire de la turgescence, processus par lequel elles vont gonfler leurs cellules d’eau pour absorber les sels que sont les nitrates. Afin de répondre à cette demande élevée en eau (ex : culture de maïs dans le sud ouest de la France), l’irrigation devient indispensable. Or, elle se fait par pompage des nappes phréatiques riches en sels minéraux (Na, Mg et Ca). Au fil du temps, ces sels s’accumulent à la surface du sol, pour atteindre des teneurs toxiques qui rendent toute culture impraticable.
Le sol, comme le pétrole, est une ressource « finie » sur cette planète ; mais contrairement au second, on ne peut pas vivre sans lui car il nous nourrit. Il est urgent de commencer à respecter les sols et d’intégrer le concept « sol milieu vivant ». L’agriculture intensive et l’agronomie telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui ne sont pas durables. Nul besoin d’être prophète. Tout ce que les écologistes sérieux ont avancé depuis trente ans se vérifie aujourd’hui. Le saccage de notre environnement et des sols doit cesser. Il en va du salut de cette civilisation. Mais sera-t-elle capable ou suffisamment courageuse pour se remettre en cause et changer pour s’écarter du modèle destructeur de l’agriculture industrielle ?
Lydia et Claude Bourguignon
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Lydia Bourguignon, maître ès sciences agroalimentaires et Claude Bourguignon, ingénieur agronome (INAPG) et docteur ès sciences en microbiologie, ont quitté l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) dans les années 80. Après leur départ, Lydia et Claude ont créé en 1990 leur propre laboratoire de recherche et d’analyses en microbiologie des sols (LAMS).
Source : www.solutionslocales-lefilm.com
Quelques références :
– Bourguignon C, L. – 2009. Le sol, la terre et les champs. Édition : Sang de la terre
– Gobat J.M., Aragno M., Matthey W. – 2010. Le sol vivant.
– Ramade F. – 1995. Éléments d’écologie : écologie appliquée.
– Dorst J. – 1965. Avant que nature meure.
WorlOmeters
FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture)