« Il faut cultiver notre jardin » faisait dire Voltaire à Candide il y a un peu plus de 250 ans. Cette maxime soulignée par des générations de lecteurs, toujours enseignée aux lycéens qui planchent sur l’épreuve de français du baccalauréat, demeure universelle. C’est le combat de quiconcque entreprend : mettre en application ses choix et ses convictions afin de grandir intérieurement.
Quelle plus belle façon d’inciter au développement personnel du sportif ou de l’étudiant, conscient des montagnes qu’il s’apprête à franchir ? La première leçon est de modérer l’Optimisme, le développement personnel est un long chemin qui ne se parcourt pas seul – chacun son Pangloss – et est parsemé d’étapes inéluctables. Il est affaire de construction, pyramidale en un sens, plus maslovienne qu’escherienne pour sûr ! Le sportif de haut niveau comme l’étudiant en Grande École passe par 3 phases qui rythmeraient idéalement son développement : une première phase d’intégration, suivie par un apprentissage de la compétitivité, pour se projeter vers une recherche de la performance. Tâchons d’en faire une analyse, le guide du petit Candide.
Intégration : la découverte de soi, de ses possibilités, de ses objectifs et de son futur parcours.
Commençons par la phase la plus cruciale du projet de construction. Cette phase d’introspection et de questionnement va induire et diriger toute la suite du développement personnel. Avant d’entreprendre, il faut réfléchir. Cette réflexion doit être la plus honnête possible et porteuse de sens pour être véritablement fondatrice de ce qui va suivre chez le sportif en devenir comme chez l’étudiant en herbe. Elle précède un engagement fort dans les deux cas : se lancer à corps perdu dans l’entraînement physique, tactique et mental dans son domaine, à partir duquel on s’engagera dans la voie de l’accomplissement. Cette orientation est naturelle pour le sportif qui se nourrit de ses expérimentations, révélant ainsi les instincts du sport plaisir, du haut niveau et/ ou de la compétition, en préparant son corps de manière adéquate.
Encore faut-il parvenir à déterminer ses attentes. Il ne s’agit pas de viser le top niveau mais de se questionner sur sa propre notion de top niveau, celle qui nous apportera la sensation de satisfaction qui suit l’objectif accompli. La préparation ne sera pas la même pour le sportif qui vise le championnat régional que pour celui qui vise les Jeux Olympiques, bien que l’on puisse y déceler nombre de similitudes. Le choix de l’étudiant semble plus problématique : il ne peut, dans la plupart des cas, expérimenter de façon concrète le secteur ou le métier qu’il croit viser. Il est donc en permanence dans l’anticipation et la réflexion sur le bien-fondé de telle ou telle décision. Cette introspection est d’autant plus délicate qu’il est extrêmement difficile de jauger ses possibilités même si l’on est conscient de son potentiel. Le choix se porte plus naturellement sur une formation transversale, multisectorielle, qui fournit à l’étudiant les meilleures armes pour faire face à ce qu’il pense être la réalité professionnelle. L’étudiant en Grande École est, en quelque sorte, le décathlonien de l’enseignement supérieur au début de sa formation. Il est celui chez qui on a décelé un potentiel mental et physique, notamment mis à l’épreuve par le concours d’entrée, mais il reste celui qui, fort de son enseignement pluridisciplinaire, rechigne à se spécialiser assez tôt.
Toutefois, se spécialiser trop tôt serait peut-être une erreur, chez l’étudiant comme chez notre sportif. Afin de pouvoir donner le meilleur de soi même dans un domaine, il faut assurément en connaître les forces et les faiblesses, les atouts et les inconvénients, les opportunités et les menaces, tous ces facteurs que l’on aura éprouvés en comparaison avec les autres domaines. Sans cette étape, notre vision serait forcément restreinte et dès lors notre efficacité réduite. Un accompagnement ingénieux et une dédramatisation du choix sont donc nécessaires. La pression s’exprime en termes de rentabilité de son potentiel, elle est inconsciente mais extrêmement puissante et source d’une angoisse dévastatrice. Ceux chez qui on a, depuis très jeune, mis en avant les capacités à faire de grandes choses sont souvent tenaillés par la peur de gâcher, de mal faire. Ne pas céder à la pression est le prix à payer pour exploiter son potentiel, développer son corps et son esprit sainement. Une priorité dans les études tout autant que dans le sport.
«Il faut se fixer des buts avant de pouvoir les atteindre.» disait Michael Jordan.
Compétitivité : apprendre à se différencier mais conserver son intégrité
Une fois le chemin tracé, il faut s’y engager. Toutefois, il faut trouver un intermédiaire entre le lièvre et la tortue. Une approche trop prudente nous empêchera de développer nos armes pour faire face à la concurrence qui ne cesse jamais de gagner du terrain. Trop vite et ce sera la blessure ou le burnout. Comme le sportif, le cadre doit se préparer à avoir plusieurs carrières qui s’inscriront dans une véritable progression et un cheminement vers des fonctions plus importantes. Toutefois, une préparation adaptée est nécessaire. Tout comme le sportif de haut niveau, qui ne doit pas ignorer les formations professionnalisantes utiles pour sa reconversion, l’étudiant doit rester en veille proactive sur les pistes d’évolution de son parcours professionnel. C’est la force du cadre avisé. Être compétitif, c’est aussi savoir se remettre en question, l’innovation en est le meilleur vecteur. Dick Fosbury à remporté la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Mexico en sautant en arquant son dos quand tous ses concurrents pratiquaient le roulé ventral. Pour se dépasser et faire gagner 20 centimètres à ses sauts, Fosbury a révolutionné sa discipline.
Un autre élément primordial de la performance ou de l’excellence demeure l’intégrité. Le sport comme le management d’équipe ne peuvent se passer des valeurs de compréhension et de respect. Le contexte concurrentiel ne doit pas exacerber les intérêts individuels. La victoire sur la concurrence ne doit jamais cannibaliser la victoire sur soi, le sportif ou l’étudiant averti ne peuvent l’ignorer.
En ce sens, l’approche sportive nourrit la formation de l’étudiant : il faut avoir l’esprit dans la compétition mais franchir les palliers intelligemment.
Performance : individuelle dans le travail mais pour le bien du collectif
Que l’on soit sportif ou cadre supérieur, la performance individuelle est toujours à replacer dans un contexte collectif. Le lanceur de javelot lancera pour son club ou son pays lors des compétitions par équipe. Depuis l’apparition des pôles nationaux, les athlètes s’entraînent en équipe bien que la finalité soit la performance individuelle. On retrouve également de nombreux témoignages de sportifs de la même nation qui se sentent pousser des ailes après la victoire d’un des leurs. L’éthique est au premier plan quand la performance devient collective. La clé de la réussite est le management participatif pour aboutir à la synergie des talents.
Pour reprendre une formule populaire : « la somme des individualités d’un groupe est inférieure à sa valeur totale collective». Cependant, l’individu est-il capable d’agir individuellement pour que la collectivité se réalise ? Le « vivre ensemble », le « travailler ensemble » ne doivent pas rester de vaines attentes. les Grandes Écoles insistent sur les travaux de groupe et le travail en petites unités d’étudiants. Imaginez de nombreuses petites équipes qui travaillent ensemble dans un micro-championnat scolaire. Observons plus attentivement non pas le résultat final mais la manière dont le groupe aura accompli sa mission, surmontant les divergences des différents maillons en trouvant le meilleur dénominateur commun. Dans le sport comme dans le parcours d’un étudiant, la solidarité compte. L’importance de cette notion collective de performance laisse à chaque individu son épanouissement personnel, si on le laisse exprimer son talent et ses qualités, quelle que soit sa place dans la hierarchie ou dans l’équipe.
Sportifs de haut niveau, étudiants en Grande École, managers, ingénieurs, se retrouvent et se ressemblent donc. Leur parcours est jonché de phases de haute performance mais également de doutes, avec l’optique d’une reconversion, obligatoire pour les sportifs, de plus en plus fréquente pour les cadres. C’est leur formation qui doit leur fournir la capacité de se remettre constament en question. Pour se connaître, ils doivent être capables de connaître les autres et de savoir en tirer le meilleur. Blessure, promotion qui s’envole, licenciement, les obstacles peuvent être nombreux. Comme Candide, il faut alors revoir son jugement et apprendre de nouveau. La formation continue des cadres est le pendant de l’entraînement du sportif. Les séminaires sont comme les phases de reprises avant la saison…
Il y a, reconnaissons-le, matière à édifier un somptueux jardin.
Fabien Giausseran