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La santé mentale des étudiants en Grande école

Publié le 30 janvier 2025
La santé mentale des étudiants en Grande école
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Par Anne Mortureux, Psychologue clinicienne, Ecole Polytechnique, Ensta, Mines de Paris
Enfin intégré ! On imagine souvent, depuis les bancs des classes préparatoires ou de l'université, la satisfaction d'avoir réussi les concours et autres procédures d'intégration, pour enfin profiter de la vie dans une grande école. Pour certains, l'entrée en école marque le début d'une période épanouissante.

Pour d'autres, le parcours est plus complexe, voire difficile. On pourrait s'en étonner : ces jeunes ont démontré des qualités intellectuelles, académiques et personnelles pour être admis dans des établissements qui leur garantissent, d'une manière ou d'une autre, le succès. Et pourtant... Comme d'autres jeunes de leur génération, ils font face à multiples interrogations. Et il est indéniable que les difficultés psychologiques, devenues encore plus apparentes depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, n'ont pas épargné nos élèves et étudiants.

Je vous propose donc ici un tour d’horizon de leurs difficultés, les facteurs qui sont considérés à risque, et les facteurs de résilience. Au sein de la CGE, nous travaillons ce sujet pour proposer un livre blanc qui reviendra plus précisément sur ce qui est évoqué ici, et qui mettra en avant des propositions de prise en charge de ces difficultés, en se basant sur l’expérience de nos établissements.

L’âge des études supérieures, entre adolescence et « monde des adultes »

Pendant cette période d’études, les jeunes subissent de nombreux changements (physiques, cognitifs, émotionnels) et posent les bases de leur vie adulte. Marqués par des explorations identitaires, des changements fréquents de lieux de vie, d’amitiés, d’études parfois, ils vivent des opportunités multiples, avec un sentiment d'entre-deux âges et une focalisation sur soi-même pour prendre des décisions avec une certaine autonomie.

Les valeurs personnelles et familiales influencent certes les choix et les efforts mais entraînent parfois, avec ces remaniements, des conflits de loyauté, des aspirations familiales pesantes. Le temps des études permet ainsi une réappropriation de ses valeurs, des réajustements relationnels, avec une possible mise à distance des relations familiales et amicales. En Ecole, les groupes de pairs jouent un rôle crucial en tant que soutien et facteur d'intégration durant cette période de déstabilisation relative.

La société offre aux jeunes cette période d’entre-deux, mais les pousse aussi à viser l'excellence. Ce climat de liberté s’accompagne d'exigences de performance, provoquant pour certains anxiété et doute face à l'éventualité d'un échec. "Fais ce que tu veux, mais sois remarquable !". Cela s'applique d'autant plus à nos étudiants habitués à une réussite scolaire devenue partie intégrante de leur identité. Et tout échec, réel ou anticipé, fragilise l'image de soi, chaque difficulté peut provoquer angoisse et doute. « Vais-je être à la hauteur ? » Ou sous une autre forme « suis-je à ma place ici ? »

Ainsi Antonin *, élève en première année, consulte après le temps des festivités de l’entrée en Ecole, car il n’arrive pas à se mettre au travail pour les partiels à venir. Procrastination, syndrome de l’imposteur, un mal-être qu’il ne comprend pas. « C’est la première fois », « je me suis peut-être trompé de voie », « je n’aime pas les cours, je sens que les autres savent pourquoi ils sont là… et moi rien, sauf un stress immense ». Il en a parlé au chargé de TD et au responsable des études. On lui a dit, « ne t’inquiète pas, fais de ton mieux ». « Mais, me dit-il je ne sais plus rien faire, alors le mieux… »

Dans les Ecoles, intégrer et… s’intégrer

Leurs questionnements conduisent à examiner les valeurs personnelles, la notion individuelle de réussite ainsi que les idéaux issus d'une histoire personnelle, familiale et sociale.

Certains découvrent alors en consultation un poids trop lourd issu d’aspirations familiales, plus ou moins explicites, ou encore sont à la recherche d’un idéal, n’ayant plus celui de ramener un bon bulletin. Ainsi un étudiant d’une Grande Ecole prestigieuse me confiait combien les « Grands Hommes » façonnaient ses choix, citant César, Churchill, mais aussi des figures familiales comme son grand-père, médaillé de guerre, qui lui avait fait sous-entendre que malgré tout, son petit-fils ne serait jamais à la hauteur, n’ayant pas intégré le top du top.

Pour d’autres encore, l’arrivée en Ecole est vécue comme une revanche à prendre, où toute une lignée familiale attend du jeune qu’il accomplisse en leur nom des objectifs ou désirs non réalisés. On entend alors des récits de conflit de loyauté : « Suis-je la fille de mes parents, ayant grandi dans une cité ouvrière, ou suis-je passée du côté des patrons ? »

Parler du temps en Ecole, c’est également aborder la vie amoureuse (complexe, désordonnée, absente parfois) et la vie sexuelle. Ici se posent les questions d’une génération exposée très jeune à des contenus pornographiques en ligne très facile d’accès, ce qui complique leurs relations. Nos consultations abordent des thématiques telles que l’addiction sexuelle, la dysphorie de genre, l’identité sexuelle et les violences sexuelles et sexistes.

Il importe ici d’insister sur l’importance du groupe de pairs, entre étudiants, puissant facteur d'intégration, d'entraide et bien souvent la première alerte en cas de difficulté. Cependant, l'intégration nécessaire dans de nouveaux groupes d'appartenance peut se heurter à la difficulté de maîtriser les contours propres à ce nouvel univers, avec le risque de devenir insignifiant, un « nobode ».

Afin de faciliter la transition des ex-lycéens vers leur future carrière d'ingénieur, l'ENSTA a mis en place des groupes de parole obligatoires pour les élèves de première année. Ces séances, coanimées par les responsables de la vie étudiante et la psychologue de l'école, visent à permettre aux étudiants de verbaliser leurs difficultés et de les encourager à se positionner davantage comme des adultes capables, si besoin, de demander de l'aide, plutôt que comme des lycéens subissant passivement les situations.

En mettant des mots sur des situations potentiellement génératrices d'angoisse ou de stress, en familiarisant les étudiants avec les personnes ressources disponibles, cette initiative vise à prévenir les troubles psychologiques. Cette approche simple mais efficace permet d'établir une prévention proactive, en allant vers les élèves, tout en favorisant leur bien-être.

Vulnérabilités et résilience en Ecole

L’arrivée en Ecole ouvre un nouveau chapitre de vie, attendu avec impatience voire fébrilité. Pour certains, avec le temps, l’effet « post concours » laisse émerger des pensées et émotions qui avaient été mises de côté. Ainsi conflits, angoisses, difficultés personnelles ou familiales trouvent un espace pour exister. Cela peut déstabiliser un équilibre fragile et engendrer des souffrances parfois importantes, que nous travaillons dans nos consultations pour retrouver un équilibre aux bases, nous le souhaitons, plus solides.

Ainsi Giulia*, étudiante en dernière année, consulte, en me disant qu’elle aurait dû venir bien plus tôt. Depuis qu’elle est en Ecole, elle explique souffrir de troubles du sommeil ; elle a de plus en plus de mal à se concentrer, à penser à l’avenir, à chercher un stage. Une rupture amoureuse il y a deux semaines, l’a laissée dans un état qu’elle ne reconnaît pas ; elle est triste, pense à son ex petit ami, mais surtout aux conflits incessants à la maison, à la tentative de suicide de sa mère, à l’absence de son père. Elle pensait avoir tourner la page, mais visiblement ce n’est pas le cas.

D’autres facteurs impactent la résilience, notamment la différence par rapport à un milieu relativement homogène de certains groupes d’élèves. Sont ainsi repérés à risque, les élèves issus de la diversité, qui n’auraient ni les repères ni les codes, mais aussi les étudiants internationaux, largement sur-représentés dans nos consultations. Les étudiants qui découvrent l’enseignement supérieur font partie également de ces populations à risque. Bien que moins présents dans nos Ecoles, l’arrivée de nouveaux diplômes (Bachelor etc.) et les prépas intégrées sont susceptibles d’accueillir ces populations.

Ces spécificités sont confirmées par la dernière enquête de l’observatoire de la vie étudiante, qui témoigne d’une évolution négative depuis le covid : un peu plus d'un tiers des étudiants présentent les signes d'une détresse psychologique dans les 4 semaines qui précèdent l'enquête (contre 20% en 2018) ; les étudiants étrangers sont également plus touchés (42 % contre 35 % des étudiants de nationalité française), enfin les étudiants d'origine sociale populaire apparaissent également fragilisés : 41% d'entre eux présentent les signes d'une détresse psychologique alors qu’ils ne sont que 30% pour ceux d'origine sociale supérieure.

J’aime à rappeler ce qu’un étudiant d’origine étrangère m’avait confié : « Madame, quand on vient d’un pays en guerre, sans ressources, il faut être le meilleur, pour se sauver et sauver sa famille sinon on n’est rien. » Et donc pour Charb *, tout examen, toute évaluation ajoutait à cette pression préexistante dès son arrivée sur campus – chaque note contribuant à son GPA, graal vers une vie meilleure possible - et faisait le lit de la décompensation psychique, et la possible entrée dans une pathologie psychiatrique majeure.

Accompagner les troubles de santé mentale dans nos écoles

Il n’y a pas de spécificité des troubles de santé mentale propre aux Grandes Ecoles. On y trouve des troubles anxio-dépressifs très majoritairement, dont les troubles bipolaires émergents, mais aussi des troubles de la personnalité associés parmi d’autres aux addictions (alcool majoritairement, mais avec une ouverture récente à de nouveau produits et/ou comportements). Il existe plus rarement des troubles psychotiques, paranoïaques, ou schizophréniques, dont le repérage est une urgence.

Historiquement l’Ecole Polytechnique a été un des premiers lieux à proposer un accompagnement de la santé mentale de ses élèves – depuis 1946 et la 2e guerre mondiale. Toutefois les Ecoles se dotent progressivement de dispositifs, avec une attention particulière à la prévention du suicide, qu’est la 2e cause de mortalité de cette tranche d’âge.

Un grand nombre des troubles sont pris en charge par des psychologues cliniciens formés à la psychopathologie, mais certains nécessitent un recours au psychiatre, ou plus rarement une hospitalisation, et/ou un suivi dans une unité spécialisée.

Pour les troubles psychiques, la prise en charge dès les premiers symptômes permet de limiter les conséquences de la pathologie, et offre un rétablissement de meilleure qualité. Un élève en souffrance, impacte aussi ses proches, camarades, amis, encadrants. Pour eux, aussi, une réponse appropriée permet d’éviter le risque de comportements mal-adaptés et des décisions dommageables pour l’élève et/ou ses proches. Un accès rapide et simple aux soins est donc primordial, notamment pour maintenir, autant que possible, l’élève dans sa trajectoire académique.

Les étudiants rencontrent certes des difficultés pour accéder aux soins : stigmatisation, coût, méconnaissance de leur souffrance. Les encadrants et les professionnels de santé mentale présents dans les Ecoles jouent ici un rôle crucial. En effet, même lorsque les étudiants sont encouragés à consulter, la démarche est difficile, source de procrastinations ou d’oublis. Cela suggère que cette démarche nécessite d’aller vers eux, et de travailler en étroite collaboration – en maintenant les exigences du secret professionnel - avec les enseignants, le personnel administratif et les étudiants eux-mêmes. C’est d’autant plus important pour les élèves qui seront suivis à l’extérieur, notamment en milieu hospitalier.

Ainsi, par exemple, à l’École Polytechnique, un comité de suivi réunit mensuellement des encadrants de proximité, des responsables académiques et des agents du service de psychologie pour repérer les élèves montrant des signes de souffrance (absences, changement notable, notes en baisse, expressions de mal-être). On peut alors les accompagner vers un premier rendez-vous soignant, ou mettre en place une simple vigilance.

Un mot sur la « pair-aidance », qui permet d’ouvrir de plus larges plages d’écoute et de présence. Ce sont des ressources précieuses pour former les étudiants « sentinelles », disposés à aider un élève en souffrance et participer si besoin à l’accompagnement vers le soin (en témoigne le succès des formations de PSSM France). Mais des effets paradoxaux des lignes d'écoute peuvent se jouer : l’on sait que verbaliser son mal-être peut parfois créer des résistances au soin, retarder une prise en charge. De plus, l’on n’insistera jamais assez sur le nécessaire accompagnement des écoutants.

Conclusion

Le mal-être des étudiants est constaté par de nombreuses études. Nous devons dans nos établissements trouver des réponses appropriées pour aider nos élèves à trouver soutien et soin, dans un moment charnière de la vie. L’Ecole n’est certes pas un lieu de soin, mais la prévention de troubles, et leur repérage, permet à tous de mieux vivre, et travailler, dans nos établissements.  Nous vous invitons à consulter le livre blanc que le GT santé mentale souhaite vous proposer. Vous y trouverez un approfondissement de ce qui est évoqué ici, ainsi que des exemples de dispositifs avec la volonté de vous montrer à quel point ces derniers sont multiples et enrichissent la vie étudiante.

Bibliographie

  • Enquête OVE 2018 – Repères sur la santé des Etudiants - Observatoire national de la vie étudiante
  • Enquête OVE 2023 – Repères conditions de vie - Observatoire national de la vie étudiante
  • BEH 14 février 2023 Prévalence des épisodes dépressifs en France chez les 18-85 ans : résultats du Baromètre santé 2021 – Santé Publique France
  • Le moment étudiant – Accompagner les étudiants vers le soin – Une approche institutionnelle collaborative – Carnet Psy décembre 2024
  • Maccotta, J.-C., Hourantier, C., Piot, M.-A. & Corcos, M., 2019. « La prévention des troubles psychiques des étudiants. Les Pôles de Prévention et d’Orientation Psychologique (PPOP) », in Revue québécoise de psychologie, 40 (2).
  • COMMISSION VIE ETUDIANTE DE LA CGE - Santé Mentale des Etudiants post COVID
    16 février 2023 – Intervention du Dr Dominique Monchablon
Depuis sa création en 1794, l’École polytechnique, actuellement sous tutelle du ministère des Armées et des anciens combattants (DGA), produit et partage des connaissances pluridisciplinaires au plus haut niveau, pour ses élèves et étudiants (cycle ingénieur polytechnicien, cycle bachelor of science, cycle master of science and technology), pour les entreprises et pour la société, en développant l’esprit entrepreneurial, l’audace et le sens de l'intérêt général dans ses trois missions fondamentales d’enseignement, de recherche et d’innovation.

Avec 3700 élèves et étudiants, dont 40% sont internationaux, cet établissement se distingue par ses 23 laboratoires et ses 480 enseignants-chercheurs. Chaque année, ils produisent environ 2600 publications et ont initié 770 start-up depuis 2010. En outre, 34 chaires actives soutiennent la recherche, et est riche de ses 30 000 alumni.

L’objectif de l'École polytechnique est aussi d'être reconnue par les plus brillants étudiants mondiaux comme étant une institution où ils peuvent acquérir le socle de connaissances, les savoir-faire, et l'accès au réseau d'anciens élèves et d’étudiants, qui leur permettront de réussir une vie professionnelle épanouissante et conforme à leurs aspirations.

Sous tutelle du ministère des Armées et plus ancienne école d’ingénieur de France, L’ENSTA joue depuis 1741 un rôle clé dans l’ingénierie pour les grands secteurs industriels et techniques, contribuant à l’autonomie stratégique de la France et de ses partenaires internationaux.

A la croisée de multiples disciplines d'ingénierie, augmentées par le numérique, l’ENSTA mène une recherche et une innovation de haut niveau au travers de ses 6 laboratoires et dispense des formations diplômantes, cycles ingénieurs en 3 ans sous statut étudiant et apprenti, masters, doctorats et Mastères Spécialisés.

L’innovation et la maîtrise des systèmes complexes sont dans son ADN. L’excellence scientifique et technique de sa formation et de sa recherche éclaire et façonne les grandes transformations des domaines de souveraineté : transports et mobilités, énergies durables, défense et sécurité, ingénierie marine, numérique, connaissance de l’environnement, spatial, ingénierie de la santé.

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